Émotion
Ces dernières années le terme émotion a envahi le langage courant et l’univers médiatique. Il est même devenu un enjeu commercial et un argument pour influencer le choix des acheteurs. Certaines publicités mettent en avant de façon sensationnelle, le vécu émotionnel que nous procure telle voiture ou tel vêtement ou telle boisson.
Le caractère polysémique de la sensation émotionnelle est souvent vécu de façon intense pour le meilleur ou pour le pire. Quand c’est pour le meilleur il faut bien en rire, mais quand il s’agit du pire, il faut se ressaisir!
Les spécialistes de la psychologie humaine s’accordent dans leur grande majorité pour dire que les troubles émotionnels sont très répandus dans les sociétés modernes, et constituent une des principales sources des troubles anxieux et des troubles de l’humeur. Cette psychopathologie des émotions est la conséquence d’une dérégulation émotionnelle.
De ce fait, les termes de psychothérapie et d’émotion sont étroitement liés, car dans toute prise en charge thérapeutique, quelles que soit son orientation, il y a forcément une demande de soulagement d’une souffrance émotionnelle.
Globalement, les patients qui consultent dans le cadre d’une démarche psychothérapique sont anxieux, stressés, déprimés, phobiques ou ressentent un manque de confiance en soi. Ils présentent bien souvent d’autres troubles psychologiques. Néanmoins, l’une des principales demandes qu’ils expriment est de se libérer des émotions qui les font souffrir.
Sur le plan psychopathologique, les problèmes de régulation et d’évitement émotionnels sont considérés comme des facteurs psychopathogènes importants. Dans ce sens, les psychothérapies les plus indiquées, sont les thérapies qui mettent l’accent sur les processus du traitement de l’information et ses différents modes de représentation, d’interprétation, et d’expression.
On peut citer les thérapies cognitivo-comportementales, ou les thérapies basées sur la pleine conscience par exemple. Elles mettent au centre de leurs pratiques l’exploration et l’exposition aux émotions.
L’émotion joue un rôle fondamental dans la relation à l’environnement, à la fois interne et externe de l’être humain. C’est une perception consciente de notre état à la fois physique et psychologique, comme le souligne Damasio, un éminent neurologue américain d’origine portugaise. Ce professeur de neurologie a consacré une grande partie de ses travaux à l’étude psycho-neurobiologique des émotions.
Il a fait la démonstration que les émotions sont impliquées, dans la prise de conscience de soi, dans la prise de décision et dans l’inhibition de certains comportements inappropriés et bien d’autres fonctions de notre cerveau.
La joie, la tristesse, la peur, le dégout sont des émotions fondamentales qui se manifestent souvent par la suite par des sentiments exprimés.
La joie et la tristesse par exemple sont des révélations mentales de l’état du vécu interne. Le signal émotionnel accroit l’efficacité du raisonnement et l’accélère dans un environnement donné. Nous retrouvons là des résonances avec la logique émotionnelle, et la démonstration que les émotions sont impliquées dans la prise de décision.
Pour ce chercheur expert, les émotions précèdent les sentiments, dans le sens où les sentiments sont nos sentinelles. “Ils font savoir à notre soi conscient, fugace et étroit, ce qu’il en est de l’état du vécu interne de notre organisme”.
Ce qui prouve aussi l’importance des émotions et des sentiments dans nos comportements, c’est que des patients ayant des lésions préfrontales restent capables de raisonnement. Par contre, ils n’éprouvent plus d’émotion et notamment d’empathie, et deviennent incapables d’avoir une vie sociale et relationnelle normale.
Spinoza nous dit que le bonheur, c’est le pouvoir d’être libre vis-à-vis de la tyrannie des émotions négatives”. Pour lui, un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier”. Il nous dit donc que pour combattre une émotion négative, on doit lui opposer une émotion plus forte, mais cette fois ci positive, apportée et confortée par le raisonnement et l’effort intellectuel.
La conception selon laquelle on ne pouvait soumettre les passions que par l’émotion induite par la raison, et non par la pure raison seule, est une notion centrale dans sa pensée. Et c’est là un des principes clés de la psychothérapie cognitive qui est centrée sur la prise de conscience des liens entre les pensées et les émotions.
En réalité, l’objectif consiste à clarifier, analyser, pour ensuite modifier les pensées dysfonctionnelles. Ceci permet dans un second temps, d’améliorer et donc de réguler l’état émotif et les capacités d’adaptation. Au fait ce ne sont pas les pensées qui posent problèmes, c’est l’interprétation qui induit une réaction émotionnelle exagérée ou inadaptée qui peut engendrer la souffrance.
Une pensée à l’état brut n’est pas forcement virulente, car une pensée n’est systématiquement un fait. C’est sa liaison avec une émotion et son incarnation en comportement inadapté et démesuré qui la rendent pathologique.
Damasio soutient que les comportements qui aboutissent aux préjugés sociaux et culturels sont en partie fondées sur l’expression automatique d’émotions sociales. C’est en partie l’évolution qui les a mis en place pour détecter la différence chez autrui, parce que la différence peut signaler éventuellement un risque ou un danger.
Si cette expressivité émotionnelle avait une signification symbolique et surtout représentait des fonctions utiles dans les sociétés tribales, elle devient de moins en moins adaptée et pas vraiment utile dans nos sociétés actuelles.
Ce neurobiologiste classe les émotions en trois catégories : les émotions d’arrière-plan, les émotions primaires et les émotions sociales. Les émotions constituent le moyen naturel pour le cerveau et l’esprit d’évaluer l’environnement à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisme. C’est en quelques sortes l’interface entre le vécu intérieur et l’environnement.
Dans la plupart des circonstances, les états corporels de tristesse, de colère, de culpabilité ou de joie, pour ne citer que ces émotions, sont un reflet instantané qui nous renseigne sur le vécu réel de l’organisme.
Les sentiments sont en réalités nos sentinelles. Ils font prendre conscience à notre soi conscient ce qui se passe dans notre organisme. Un sentiment de nœud au ventre ou un serrement au niveau de la gorge peut nous suggérer d’éviter un choix, qui dans le passé a eu des conséquences catastrophiques.
Le signal émotionnel n’est pas un substitut objectif du raisonnement logique proprement dit, néanmoins, il joue plutôt un rôle auxiliaire et accroit l’efficacité du processus de raisonnement et l’accélère.
Ainsi, nos émotions nous régissent et nous contraignent. Néanmoins, notre capacité d’analyse et de prise de distance, peut les rendre avantageuses et en faire les partenaires d’une vie apaisée et épanouie.
Souvent, l’événement ou l’objet au sens large du terme, qui sont à l’origine du déclenchement de l’émotion n’ont pas besoin d’être présents pour déclencher un vécu émotionnel. Dans ce cas, c’est l’imaginaire qui prend le relai par le biais de la représentation mentale nourrie par les souvenirs. Elle contribue à faire surgir l’émotion et la sensation qui lui correspondent, avec la même force que si le contenu de l’image virtuelle était réellement incarné.
Actuellement les recherches en neurosciences cognitives montrent, que toute fonction mentale supérieure complexe, telle que les émotions, la réflexion, le raisonnement, le langage, la mémoire etc., résulte de l’implication de nombreuses régions cérébrales. Toutes ces zones s’activent de façon synchrone à différents niveaux du système nerveux central, et pas seulement au niveau d’une seule région précise du cerveau.
Une des fonctions importante du système nerveux est percevoir, d’organiser et d’intégrer les différents signaux sensoriels et moteurs, mais aussi cognitifs et émotionnel, pour configurer des comportements cohérents et adaptés par rapport à la situation et à l’environnement.